Millepertuis : trop dangereux pour être utile?

Fleur de millepertuis

Le millepertuis (Hypericum perforatum) fait régulièrement la manchette, que ce soit pour son effet contre la dépression ou pour ses nombreuses interactions médicamenteuses. Il ne faut pas se le cacher, il fait peur… Par contre, quand on le connait mieux, on se rend compte qu’il est un outil thérapeutique intéressant lorsque certaines conditions sont respectées.

Un peu d’histoire

Le millepertuis, aussi appelé herbe de St-Jean, est une plante vivace herbacée avec un historique très intéressant. Son nom, millepertuis (pertuis = trou), lui vient des multiples vacuoles contenant un pigment rouge (l’hypericine) parsemées sur ses pétales et ses feuilles. Grâce à la transparence au soleil des vacuoles, on a l’impression que la plante est percée de «mille trous». Selon certains, le nom «herbe de St-Jean» lui viendrait d’une tradition qui veut qu’on en accroche un bouquet dans les maisons, à la veille de la fête de St-Jean-Baptiste, pour chasser les sorcières. Selon d’autres, ce nom serait attribuable au fait que sa floraison débute à la fête de St-Jean-Baptiste.

Traditionnellement, le millepertuis avait la capacité de chasser les mauvais esprits et de protéger contre la sorcellerie. On lui donnait d’ailleurs quelques fois le nom de fuga demonium (qui fait fuir le démon). À l’époque de Nicolas Culpeper, médecin et herboriste (1616-1654), le millepertuis était décrit comme étant: «(…) utile contre la mélancolie et la folie».

Études sur le millepertuis

Humeur

Plusieurs recherches confirment l’effet antidépresseur du millepertuis. Ses composés actifs sont principalement l’hyperforine, la rutine, l’hypericine et la pseudohypericine. L’hyperforine (et ses dérivés) semble être la molécule la plus active pour le soulagement de la dépression et des problèmes d’humeur, principalement en agissant sur la sérotonine. Selon les données récentes, l’hypericine, qui sert souvent de marqueur, n’a pas d’effet antidépresseur.

Le millepertuis a cependant une action beaucoup plus globale, car il augmente la disponibilité de plusieurs autres neurotransmetteurs (GABA, L-glutamate, norépinéphrine, dopamine). De ce fait, il facilite l’amélioration de l’humeur.1,2

De nombreuses études cliniques démontrent son efficacité dans la dépression légère à modérée. Il a été comparé à la fluoxétine 3,4 et à l’imipramine (100 mg par jour) 5 et a été trouvé aussi efficace et mieux toléré. Le millepertuis est d’ailleurs aussi efficace, mieux toléré et plus économique que les antidépresseurs génériques.6

Plusieurs méta-analyses se sont penchées sur les études cliniques effectuées sur le millepertuis et, malgré les faiblesses méthodologiques de certaines études, elles concluent que le millepertuis est efficace contre la dépression légère à modérée et qu’il a moins d’effets secondaires que les traitements classiques.7-11

De plus, la commission E allemande reconnaît l’usage du millepertuis pour traiter les désordres psychovégétatifs, les états dépressifs, l’anxiété et l’agitation nerveuse.12 Le millepertuis est donc maintenant reconnu comme un outil utile pour traiter les dépressions légères à modérées.

Activité antivirale

Des chercheurs ont aussi observé une activité in vitro contre certains virus (herpès, polio, hépatite C, rétrovirus, cytomégalovirus, etc.) et bactéries. Malheureusement, ces données in vitro n’ont pas été reproduite chez l’humain. Dans une étude clinique, des doses orales équivalant à 40 fois la dose antidépresseur d’hypericine (la molécule qui serait responsable de l’activité antivirale) n’ont donné aucun résultat, sinon des effets secondaires marqués (comme une importante photosensibilité).13

Par contre, il semble que l’effet antiviral puisse être mis à profit en application topique.14

Applications topiques du millepertuis

Le millepertuis est traditionnellement appliqué sur la peau, en teinture ou en macérât huileux. En topique, il a des effets anti-inflammatoires, antidouleur, antiviral et cicatrisants. L’effet anti-inflammatoire est démontré pour la teinture mère 15 et dans d’autres formulations topiques 14.

L’effet vulnéraire (cicatrisant) est montré chez l’animal 16 et cliniquement 14. Ce sont principalement les flavonoïdes qui agiraient à ce niveau (hyperoside, isoquercétine, rutine et épicatéchine). L’hypericine joue également un rôle dans l’effet vulnéraire.16 L’usage d’un produit topique de millepertuis aide à prévenir l’infection, diminuer l’inflammation (rougeur, enflure et douleur) et accélérer la guérison des plaies.14

Effets secondaires

Les effets secondaires du millepertuis sont mineurs et ne surviennent que chez 1 à 3% des utilisateurs.

Photosensibilité

L’hypericine du millepertuis peut causer de la photosensibilité, mais cet effet n’a été rapportée que rarement, et uniquement chez les personnes au teint pâle ayant pris des doses élevées. La dose quotidienne habituellement recommandée est 900 mg d’extrait à 0,3% d’hypericine. Un auteur rapporte un seuil d’apparition des symptômes de photosensibilité de 2 à 4 g d’extrait par jour, soit plus de 2 à 4 fois la dose thérapeutique.17

Certaines sources parlent aussi de phototoxicité. Il faut cependant savoir qu’aucun cas de phototoxicité n’a été rapporté chez l’humain à doses antidépressives. Les seuls cas de phototoxicité (avec nécrose tissulaire) rapportés l’ont été chez le mouton. D’ailleurs, en Nouvelle Zélande, le millepertuis est «l’ennemi public numéro 1».

Comme l’effet de photosensibilité est dû à l’activation de l’hypericine par la lumière UV, certains auteurs suggèrent d’appliquer de l’huile de millepertuis sur la peau. Cette même molécule agirait alors pour protéger la peau en absorbant les UV avant qu’ils ne l’endommagent, comme un filtre solaire. Comme je n’ai pas trouvé de documentation à cet effet, je ne peux le confirmer.

Pour l’anecdote, l’effet phototoxique semble avoir un impact important contre les cellules de mélanome, in vitro. 18 Qui sait jusqu’où ira cette information?

Effets digestifs et autres

Les autres effets secondaires rapportés sont surtout des effets digestifs, comme de l’irritation gastrique et de la constipation, principalement dus au contenu en tannins. Quelques rares cas d’agitation et d’étourdissements ont également été rapportés.

Interactions 19

C’est surtout ici qu’est le problème avec le millepertuis: les interactions. Il faut savoir que le millepertuis a 2 types principaux d’interactions.

  1. Il inhibe la recapture de la sérotonine comme d’autres antidépresseurs (ISRS). Pris conjointement avec ces médicaments, il peut générer un syndrome sérotoninergique léger (trop de sérotonine disponible: agitation, tremblement, léthargie, etc.). D’autres médicaments agissent sur la sérotonine (comme le tramadol), ainsi que certains produits naturels (notamment le 5-HTP). Il faut donc faire très attention avant de combiner.
  2. Le millepertuis induit à la fois le cytochrome p450 3A4 et la glycoprotéine P de l’intestin. Il peut donc augmenter le métabolisme de plusieurs médicaments et ainsi réduire leur efficacité. On estime que 70% des médicaments sont métabolisés par le 3A4. Donc, il est particulièrement important de vérifier l’interaction en présence de médicaments à intervalle thérapeutique étroit comme des antiviraux (Indinavir), des médicaments antirejet (Cyclosporine) et même des contraceptifs. Par exemple, le millepertuis diminue l’efficacité des anovulants, ce qui a entrainé des grossesses non désirées.

Bref, il faut toujours vérifier les interactions avec le millepertuis, peu importe sa forme. Des cas d’interaction ont même été rapporté ici, au Québec, entre une tisane de millepertuis et des anovulants, avec comme résultat des grossesses non désirées.

Pour plus de détails ainsi qu’une liste des médicaments avec lesquels le millepertuis interagit, consultez «Les interactions entre produits naturels et médicaments».

Dosage

Pour son effet sur l’humeur : 900 mg d’extrait à 0,3% d’hypericine (donc 2,7mg d’hypericine) par jour. Préférez cependant un produit standardisé en hyperforine de 3 à 5%, ou encore un produit traditionnel dont vous ajusterez le dosage en fonction de l’effet obtenu.

Conclusion

L’usage d’un bon produit de millepertuis est intéressant pour traiter un syndrome dépressif léger. C’est un produit sécuritaire, sauf en combinaison avec d’autres médicaments.

Articles connexes

Références

  1. Russo E, Scicchitano F, Whalley BJ, et al. Hypericum perforatum: pharmacokinetic, mechanism of action, tolerability, and clinical drug-drug interactions. Phytother Res. 2014 May;28(5):643-55. doi: 10.1002/ptr.5050. Review. PubMed PMID: 23897801. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23897801
  2. Butterweck V, Schmidt M. St. John’s wort: role of active compounds for its mechanism of action and efficacy. Wien Med Wochenschr. 2007;157(13-14):356-61. Review. PubMed PMID: 17704987. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17704987
  3. Schrader E. Equivalence of St John’s wort extract (Ze 117) and fluoxetine: a randomized, controlled study in mild-moderate depression. Int Clin Psychopharmacol 2000 Mar;15(2):61-8. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10759336
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  5. Philipp M, Kohnen R, Hiller KO. Hypericum extract versus imipramine or placebo in patients with moderate depression: randomised multicentre study of treatment for eight weeks. BMJ 1999 Dec 11;319(7224):1534-8. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC28296/
  6. Solomon D, Adams J, Graves N. Economic evaluation of St. John’s wort (Hypericum perforatum) for the treatment of mild to moderate depression. J Affect Disord. 2013 Jan 2. doi:pii: S0165-0327(12)00831-2. 10.1016/j.jad.2012.11.064. [Epub ahead of print] PubMed PMID: 23291009. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23291009
  7. Kasper S, Dienel A. Cluster analysis of symptoms during antidepressant treatment with Hypericum extract in mildly to moderately depressed out-patients. A meta-analysis of data from three randomized, placebo-controlled trials. Psychopharmacology (Berl). 2002 Nov; 164(3): 301-8. x. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12424554
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